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Embuscade photo dans les Caraïbes

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Sous ce titre digne d’un roman de gare, je décris un petit piège à touristes à base de photographie auquel j’ai été confronté très récemment… dans un aéroport.

Aéroport de Punta Cana, hier. Notre semaine de vacances en République dominicaine s’achève. Après l’enregistrement, ma compagne et moi descendons lentement vers notre terminal d’embarquement, par un couloir pentu comprenant des coudes. Dans ce couloir, juste après un premier coude, nous sommes pris par le bras par deux jeunes femmes en tenue traditionnelle (le costume ressemblait grandement à ça). Les murs du couloir n’étant en fait que de hauts murets, nous avions pu repérer ces femmes aux couleurs vives un peu à l’avance. Je me suis dit qu’il s’agissait peut-être d’hôtesses embauchées pour remercier les touristes sur le départ de leur visite, ou pour leur proposer je ne sais quel produit typique. Je me trompais.

Les deux femmes nous placent rapidement entre elles, juste après le virage. À nous quatre, alignés, nous couvrons la largeur du couloir. Un pseudo toit de feuilles de cocotier séchées nous surplombe. En face, en contrebas, niché en un endroit que nous ne pouvions voir plus tôt, nous découvrons qu’un photographe penché, l’œil derrière son appareil sur pied, est prêt à déclencher. Sourire gêné des deux touristes pris au piège (comme sûrement des milliers d’autres avant nous et après nous), déclic et flash.

Les deux femmes tournent ensuite les talons, s’apprêtant à (ac)cueillir les touristes qui suivent. Nous, nous avançons et arrivons à la hauteur du photographe, qui nous indique que le cliché sera disponible un peu plus loin. En effet, dans la zone duty free, un stand proposera des écrans sur lesquels nous aurions pu retrouver puis acheter l’image (photo).

Le stand d'une entreprise de photographie, aéroport de Punta Cana, République dominicaine.

Le stand d'une entreprise de photographie, aéroport de Punta Cana, République dominicaine.

Classique. Mais revenons à la prise de vue, car celle-ci doit retenir notre attention.

A priori, rien de bien méchant. Soit, une photographie a été prise sur laquelle nous figurons et nous ne l’avons pas voulue. Toutefois, nous n’aurons pas la curiosité d’aller la découvrir et nous l’achèterons encore moins. Comme cette image n’intéressera personne, elle sera assez rapidement effacée, du moins peut-on raisonnablement le supposer. Pas de quoi fouetter un chat.

Non, rien de très méchant. D’autant que nous avions été en partie reconditionnés à des pratiques de photographes de touristes comparables, déjà observées ailleurs, durant notre semaine de vacances. Dans le complexe hôtelier où nous étions installés, quelques jeunes photographes sillonnaient les lieux, demandaient aux touristes l’autorisation de les prendre en photo, puis les invitaient à aller visionner et commander les photos sur un stand, non loin de la réception.

Rien de bien méchant, non. Après tout, ne s’agit-il pas en quelque sorte de la redite, à une autre échelle, de pratiques professionnelles observées depuis notre plus tendre enfance ? Souvenez-vous de ce photographe qui se rendait une fois l’an dans votre école pour photographier votre classe ? Simplement, le passage de l’argentique au numérique a permis d’envisager de prendre systématiquement en photo tous les touristes passant par cet aéroport, sinon par ce terminal. Comme autant d’écoliers, assez grands maintenant pour commander eux-mêmes la photographie-souvenir.

Rien de méchant, à ceci près que le dispositif de l’aéroport a tout du piège à touristes. Cette prise de vue n’avait rien d’une possibilité que nous pouvions librement écarter ; c’était plutôt une étape imposée, à laquelle nous ne pouvions facilement nous soustraire. Le photographe et ses complices de charme s’étaient opportunément placés en travers de notre chemin. J’ose un parallèle. Imagine-t-on que les employés d’une boutique de luxe voisine nous saisissent un jour dans l’allée et nous contraignent systématiquement à essayer un pull de marque, sans obligation d’achat bien sûr, avant que nous puissions envisager de monter dans l’avion ? L’initiative du photographe n’est-elle pas de cet ordre-là ?

L’autre fait assez incroyable, c’est que le photographe nous attendait caché. Il a ainsi cherché à réduire notre possibilité de nous préparer à refuser son offre, y compris la prise de vue.

C’est juste une photo « jetable », c’est entendu, ce n’est pas un achat contraint, encore heureux. Mais le photographe ou l’entreprise qui l’embauche le sait et en joue. Ce dispositif ayant permis la prise de vue – la génération de l’objet commercialisé – apparaît comme une manipulation, une contrainte psychologique (une variante du pied-dans-la-porte ?). Tout est fait pour rendre la prise de vue aussi inévitable que possible (comme la photo de classe). Pour cela, le photographe rend son dispositif incontournable, intrigue et capture les touristes avec ses filles tout en se cachant, lui et son matériel. Il ne prend évidemment pas le soin de nous prévenir qu’un « événement photographique » ponctuera notre chemin. Quant à nous demander l’autorisation de nous prendre en photo, pour qui nous prenons-nous ?!

Dans son principe, il est évident que ce dispositif commercial va trop loin (le fait d’être incontournable, le fait de se dissimuler). S’il ne relevait pas plutôt de l’exception, la vie deviendrait rapidement assez infernale dans les aéroports…

C’est la première fois que je croisais un tel dispositif. Mon petit doigt me dit qu’il est loin d’être si exceptionnel, mais dans quelles proportions ? Vos témoignages sont les bienvenus ci-dessous.


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